285 : Troubles de l’humeur - Troubles bipolaires
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Sommaire
Objectifs
- Diagnostiquer un trouble de l’humeur et /ou des troubles bipolaires
- Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge
- Décrire les principes de la prise en charge au long cours
Dépression
- Trouble de l'humeur dominé par la tristesse et un ralentissement psycho-moteur
- 1ère cause de handicap mondiale, pathologie psychiatrique la plus fréquente, 2 femmes pour 1 homme
Etiologie
Dépressions primitives
- Nombreuses théories psychologiques, biologiques et sociologiques ; la plupart du temps multifactoriel
- Dépression endogène : dépression intense, mélancolique, arguments sociologiques pauvres, sensible au traitement médicamenteux
- Dépression psychogène : intensité moindre, causes sociologiques et psychologiques identifiables, place des psychothérapies
Dépressions secondaires
- Tout trouble psychiatrique peut se compliquer d'un syndrome dépressif (trouble anxieux, psychotique, du sommeil ou TCA)
- Causes organiques :
- Vraies causes organiques :
- Pathologies neurologiques : démences, Parkinson, SEP...
- Pathologies endocriniennes : hypothyroïdie, hypercorticisme
- Cancers et maladies de système
- Pathologies infectieuses : HIV, tuberculose
- Dépression réactionnelle : maladies chroniques, événements médicaux traumatisants
- Vraies causes organiques :
- Rechercher systématiquement une dépression d'origine toxique :
- Immunosuppresseurs (isotrétinoïne et IFN)
- Corticothérapie au long cours
- L-DOPA
- Agonistes α2-centraux
- Réserpine
Diagnostic
Syndrome dépressif
- Humeur dépressive ou tristesse pathologique de l'humeur :
- Tristesse intense envahissant tous les champs de la psyché, inaccessible au raisonnement, avec impotence fonctionnelle
- Anhédonie
- Aboulie
- Athymhormie
- Ennui, anesthésie affective
- Parfois irritabilité, labilité émotionnelle, hyperthymie douloureuse avec crises de larmes
- Asthénie : évocatrice si diminuant au cours de la journée
- Modification du contenu de la pensée :
- Reconstruction négative du passé
- Culpabilité, indignité
- Autodépréciation
- Pessimisme
- Incurabilité
- Idées suicidaires ou idées noires
- Ralentissement psycho-moteur :
- Ralentissement psychique :
- Troubles de l'attention et de la concentration
- Troubles mnésiques, indécision, perplexité
- Ruminations
- Bradyphémie (lenteur du discours)
- Prosodie monocorde
- Ralentissement moteur :
- Hypomimie ou amimie
- Apragmatisme
- Incurie, clinophilie
- Au maximum : statisme, stupeur
- Ralentissement psychique :
- Troubles des conduites instinctuelles : anorexie, hyperphagie rarement, insomnie (réveils précoces), baisse de la libido
- Symptômes anxieux
- Délire :
- Limité dans le temps à l'épisode dépressif
- Thème congruent à l'humeur
- Mécanismes variables
Episode dépressif majeur
Diagnostic
- Rupture avec l'état antérieur
- Nombre suffisant de symptômes (au moins 5 pour le DSM IV)
- Durée suffisante : > 15 jours
- Altération du fonctionnement social et/ou professionnel
- Absence de cause toxique ou organique et absence de deuil
- Caractéristiques à préciser :
- Sévérité :
- Episode léger : nombre de symptômes juste suffisant, fonctionnement global peu altéré
- Episode modéré
- Episode sévère : grand nombre de symptômes, fonctionnement très altéré
- Présence de caractéristiques psychotiques :
- Délire ou désorganisation psychique
- Classe l'épisode comme sévère
- Sévérité :
Formes cliniques
Selon l'évolution
- EDM isolé : 10% de risque de chronicité
- Trouble bipolaire (vide infra)
- Trouble dépressif majeur récurrent (≥ 2 EDM séparés d'un intervalle libre sans symptômes d'au moins 4 mois)
- Dépression chronique : EDM ≥ 2 ans
- Trouble saisonnier de l'humeur : trouble dépressif récurrent par période saisonnière (indication de photothérapie)
Selon le terrain
- Age :
- Enfants → fréquence de l'irritabilité et des troubles de l'attention (retentissement scolaire)
- Adolescents → proche du tableau de l'adulte, parfois révélé par un trouble des conduites
- Sujets âgés → plaintes somatiques au premier plan, troubles mnésiques en imposant pour une démence, risque suicidaire élevé
- Chez la femme : différencier EDM et dysphorie prémenstruelle, risque +++ pendant la grossesse et le post-partum, risque augmenté à la ménopause
- Formes particulières :
- Mélancolie :
- EDM sévère
- Risque suicidaire majeur
- Importance de l'incurabilité, de l'indignité, de la culpabilité,
- Mélancolie stuporeuse : ralentissement +++ → risque de dénutrition
- Mélancolie anxieuse : agitation +++
- Mélancolie délirante : production délirante importante
- Syndrome de Cotard : mélancolie délirante, sujet âgé, négation d'organe, thème d'immortalité
- EDM atypique :
- Délire non-congruent à l'humeur
- Désorganisation psychique, bizarrerie, détachement affectif
- Absence d'anxiété
- Mélancolie :
Autres formes
- Trouble dysthymique : humeur dépressive presque toute l'année, intervalle libre < 2 mois, durée totale > 2 ans
- Dépressions récurrentes brèves : épisodes récurrents, 2 à 15 jours, au moins une fois par mois pendant 12 mois, non-rythmés par le cycle menstruel
- Trouble anxio-dépressif : symptômes anxieux et dépressifs sans prédominance permettant de classer la pathologie
Diagnostic différentiel
- Recherche systématique d'une cause de dépression secondaire :
- Autre affection psychiatrique
- Origine organique
- Origine toxique
- Deuil pathologique
Evolution
- Sans traitement, résolution spontanée en 8 à 12 mois
- Complications :
- Conduites suicidaires
- Addictions
- Retentissement socio-professionnel
- Récidive
- Evolution vers un trouble chronique de l'humeur
- Réponse au traitement :
- Rémission partielle : réduction de la symptomatologie
- Rémission complète (95% en cas de premier épisode)
- Guérison : rémission complète > 4 mois
- Rechute (avant 4 mois)
- Récidive : réapparition des symptômes après la guérison (> 4 mois)
- Chronicité : EDM > 2 ans (FdR : trouble dépressif récurrent, ATCD familiaux, prise en charge tardive)
- Résistance :
- Echec confirmé ≥ 2 traitements dont un imipraminique pendant 4 à 6 semaines à posologie adéquate et avec bonne observance
- Et durée < 2 ans
- Facteurs de risque : trouble de la personnalité associé, maladie organique sous-jacente, conditions psychosociales défavorables
- Virage : apparition d'un syndrome maniaque sous antidépresseurs → trouble bipolaire de type III
Prise en charge
Bilan pré-thérapeutique
- Distinguer origine endogène ou psychogène
- Préciser la sévérité et a présences d'éléments psychotiques ou mélancoliques
- Traitements en cours, ATCD familiaux et personnels, trouble dépressif chronique, trouble bipolaire
- Facteurs pronostiques : évaluation du risque suicidaire, risque de résistance au traitement, risque de chronicité
- Evaluation du retentissement
- Bilan étiologique :
- Examen clinique complet...
- Hémogramme, ionogramme, créatinine, bilan hépatique complet, TSH, recherche de toxiques
- Imagerie cérébrale si caractéristiques psychotiques
- Bilan préthérapeutique :
- ECG si imipraminique
- Bilan pré-sismothérapie si nécessaire :
- Hémogramme, coagulation
- Groupe, Rhésus, RAI
- Ionogramme, créatinine, glycémie
- Bilan hépatique
- ECG
- Fond d’œil ou TDM cérébrale (éliminer une HTIC)
- EEG
- RXT
- Consultation pré-anesthésie
Traitement
- Si possible en ambulatoire
- Indications d'hospitalisation (si possible en hospitalisation libre) : mélancolie, EDM sévère avec risque suicidaire élevé, troubles somatiques associés, milieu de vie entretenant les troubles
- Schéma médicamenteux : traitement d'attaque initialement pour obtenir une rémission complète → traitement de consolidation (systématique) 4 à 9 mois → ± traitement de maintenance si ≥ 3 EDM en < 4 ans (2 à 5 ans)
- Possibilités thérapeutiques :
- Dépression non-compliquée → Inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS) type fluoxétine (Prozac) en 1ère intention
- Dépression sévère hospitalisée/mélancolie → IRSNA en 1ère intention type venlafaxine (Effexor) à dose progressivement croissante ; ou imipraminique type clomipramine (Anafranil)
- Mélancolie délirante → sismothérapie en urgence ou imipraminique + neuroleptique
- Mélancolie stuporeuse → sismothérapie en urgence
- Dépressions saisonnières → photothérapie ou ISRS
- Traitement d'attaque :
- Débuter à faible posologie, augmenter par paliers, surveillance clinique et paraclinique
- Effet anti-dépresseur n'apparaît qu'après 3 semaines et il faut attendre 6 semaines pour affirmer que le traitement est inefficace
- Risque suicidaire initial par levée d'inhibition → traitement sédatif par BZD maximum 4 semaines
- Education du patient : améliorer l'observance, prévenir du délai d'action long, des effets indésirables, insister sur la nécessité de poursuivre le traitement même après amendement des symptômes
- Absence de réponse :
- Vérifier l'observance
- Réévaluer la posologie
- Changement de classe après 6 semaines
- Echec de 2 traitements dont 1 imipraminique = dépression résistante → association de 2 ATD ou traitement adjuvant ou sismothérapie
- Penser à l'arrêt de travail
Psychothérapie
- Psychothérapie de soutien toujours indiquée
- Psychothérapies analytiques si un bénéfice est attendu
- Psychothérapie cognitive si biais cognitifs importants
Syndrome maniaque
Etiologie
- Majorité = manie primitive → trouble bipolaire de l'humeur
- Manies secondaires :
- Neurologiques : syndrome frontal, épilepsies partielles
- Troubles hydro-électrolytiques (hypercalcémie et hypernatrémie ++)
- Causes endocriniennes : hypoglycémie, hyperthyroïdie, hyperparathyroïdie, hypercorticisme
- Causes infectieuses et inflammatoires...
- Manies iatrogènes ou toxiques :
- Psychostimulants : cocaïne, amphétamines, ecstasy, cannabis
- Antidépresseurs, corticostéroïdes, L-DOPA, thyroxine, AINS, isoniazide, antipaludéens de synthèse
Diagnostic
Syndrome maniaque
- Exaltation de l'humeur : euphorie, expansivité de l'humeur, hypersyntonie (à l'aise en toutes circonstances), familiarité, ludisme (jeux de mots, charades), hyperhédonie, labilité émotionnelle, irritabilité
- Hypersthénie : insomnie sans sensation de fatigue
- Modification du contenu de la pensée : anosognosie, optimisme, insouciance, sentiment de toute-puissance
- Accélération psychomotrice :
- Hypervigilance, hyperréactivité, distractibilité
- Tachypsychie, diffluence (coq-à-l'âne), trouble de la concentration et de l'attention
- Logorrhée ou graphorrhée, tachyphémie
- Hyperactivité motrice, agitation
- Désinhibition : présentation débraillée, chant, danse, multiplication des initiatives, voyages pathologiques, absentéisme professionnel, désinhibition financière, comportements agressifs
- Risque d'usage de stupéfiants et de comportements à risque
- Trouble des conduites instinctuelles : insomnie, hyperphagie, polydipsie, libido exacerbée
- Délire : discours souvent pseudo-délirant (thèmes mégalomaniaques ++), délire congruent à l'humeur, systématisation médiocre
Critères diagnostiques
- Début brutal, sans prodrome, rupture avec l'état antérieur
- Episode hypomaniaque :
- Exaltation de l'humeur > 4 jours rompant avec l'état antérieur
- ≥ 3 symptômes maniaques
- Modifications du fonctionnement, symptômes manifestes pour l'entourage
- Sévérité non-suffisante pour entraîner une altération marquée du fonctionnement social ou professionnel
- Absence de cause organique ou toxique
- Episode maniaque : mêmes critères mais sévérité suffisante pour altérer le fonctionnement professionnel ou social ou nécessiter l'hospitalisation
Formes cliniques
- Mode de début : chez un patient euthymique (TBI ou II) ou chez un patient déprimé après prise d'antidépresseur = virage maniaque (TBIII)
- Manie délirante : manie sévère avec délire important
- Etat mixte : association de symptômes dépressifs et de symptômes maniaques avec labilité émotionnelle importante, risque suicidaire majeur
- Manie atypique : symptômes discordants, délire non-congruent à l'humeur, syndrome dissociatif ou délirant persistant → évoquer un trouble schizo-affectif
- Furie maniaque : état maniaque fulgurant, agitation extrême, idéation paranoïaque, hétéro-agressivité, urgence thérapeutique (sédation + sismothérapie)
Diagnostic différentiel
- Confusion : présence d'une DTS
- Episode psychotique aigu : délire au premier plan
- Ivresse/prise de toxiques
- Manifestation hystérique
- Pathologie organique
Prise en charge
- Urgence thérapeutique nécessitant une hospitalisation si syndrome maniaque
Bilan pré-thérapeutique
- Traitements en cours (rechercher lithium +++)
- Rechercher des complications professionnelles, financières, sexuelles
- Rechercher une cause organique :
- Examen clinique complet
- Biologie : hémogramme, glycémie, ionogramme, créatinine, bilan hépatique, TSH, calcémie, recherche de toxiques
- 1er épisode maniaque → imagerie cérébrale systématique
- Bilan pré-thérapeutique :
Traitement
- Hospitalisation, le plus souvent sous contrainte
- ± Sauvegarde de justice
- Sédation si agitation importante (neuroleptiques +++ ou BZD)
- Traitement étiologique :
- Lithium en première intention
- Alternatives :
- Anti-épileptiques : carbamazépine, valproate
- Neuroleptiques : olanzapine, rispéridone, aripiprazole
- Sismothérapie : si furie maniaque ou contre-indication aux traitements, ou en seconde intention en cas de résistance
- Surveillance :
- Efficacité : normalisation du sommeil +++
- Tolérance
- Dosages plasmatiques
- Risque de virage dépressif
- Traitement de consolidation 3 à 4 mois après résolution, évaluer la nécessité d'un traitement au long cours
Evolution
- Spontanément résolutif en 4 à 8 semaines sans traitement
- Complications :
- Désinsertion socio-professionnelle
- Conduites à risque : rapports non-protégés, errances, dilapidation du capital financier, comportement hétéro-agressif, addictions
- Formes agitées : déshydratation, épuisement, dénutrition
- Evolution sous traitement : durée de quelques jours à quelques semaines, parfois résistance ou virage dépressif ou récidive
Trouble bipolaire
- Prévalence = 1%
- Début chez l'adulte jeune
Diagnostic
- Trouble chronique de l'humeur avec alternance d'épisodes dépressif et (hypo)maniaques
- Tout épisode maniaque ou hypomaniaque suffit à poser le diagnostic de TBP
- 3 types :
- Type 1 : au moins 1 épisode maniaque
- Type 2 : épisodes strictement hypomaniaques
- Type 3 : virage maniaque sous antidépresseurs
- Formes cliniques :
- Cyclothymie : alternance d'épisodes hypomaniaques et d'épisodes dépressifs légers → pas d'indication à un thymorégulateur
- Cycles rapides : > 4 accès dépressifs ou maniaques par an, mauvais pronostic
- Principal diagnostic différentiel : trouble schizo-affectif
Pronostic
- Maladie chronique et incurable pouvant être stabilisée par un traitement prophylactique
- Risques propres aux épisodes maniaques ou dépressifs
- Risques à long terme :
- Marginalisation
- Addictions
- Suicide
Traitement
Au long cours
- A débuter dès que le diagnostic est posé
- Sels de lithium en première intention dans le TBP1 : 70% d'efficacité sur les rechutes maniaques, 30% sur les rechutes dépressives
- Anti-épileptiques (carbamazépine, valproate) ou neuroleptiques atypiques (olanzapine, rispéridone, aripiprazole) en seconde intention si mauvaise tolérance/inefficacité/contre-indication
- Traitement à vie (arrêt progressif envisageable si contrôle parfait > 2 ans)
- Education du patient : maladie chronique, observance thérapeutique, dosages plasmatiques, interactions médicamenteuses (AINS +++), associer l'entourage à la prise en charge
Episodes aigus
- Episodes dépressifs :
- EDM léger → surveillance + optimisation du traitement thymorégulateur
- EDM modéré/sévère → optimisation du traitement thymorégulateur ; association d'un antidépresseur en seconde intention en surveillant le risque de virage maniaque
- Episodes (hypo)maniaques : arrêt de tout antidépresseur, optimisation du traitement thymorégulateur
- Vérifier l'observance, dosages plasmatiques, optimisation de la posologie