214 : Principales intoxications aiguës
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Sommaire
Objectifs
- Diagnostiquer une intoxication par :
- Les psychotropes,
- Les médicaments cardiotropes,
- Le CO,
- L’alcool
- Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge
Diagnostic
Clinique
- Anamnèse :
- Circonstances de l'intoxication :
- Tentative de suicide
- Intoxication accidentelle domestique
- Intoxication professionnelle
- Overdose
- Surdosage médicamenteux involontaire
- Intoxication criminelle (impose des prélèvements à visée médico-légale)
- Ensemble des substances ingérées/injectées/inhalées, association à une prise d'alcool ++
- Doses rapportées pour chaque substance
- Modalités d'administration
- Délai intoxication - prise en charge
- Circonstances de l'intoxication :
- Examen physique :
- Température : hypothermie en cas de coma prolongé, hyperthermie induite par le toxique ou une pneumopathie d'inhalation (NLP, cocaïne...)
- Symptômes neurologiques (les plus fréquents) :
- Coma : ± profond, sans signe de focalisation, réversible (antidotes ++) ; calme (BZD, alcool, opiacés...) ou agité (ATD tricycliques, antihistaminiques)
- Hypotonie
- Hypertonie pyramidale ou extrapyramidale
- Crises convulsives, crise infraclinique
- Myoclonies
- Pupilles : myosis serré (opiacés), mydriase aréactive (ATD tricycliques, cocaïne, ISRS)
- Hallucinations
- Symptômes respiratoires : hypoventilation d'origine centrale +++ avec risque d'arrêt respiratoire, signes de pneumopathie d'inhalation
- Symptômes cardiovasculaires : vasoplégie, TdR, TdC...
- Signes cutanés de compression en cas d'immobilisation prolongée avec risque de rhabdomyolyse
- Points d'injection
Paraclinique
- Biologie :
- Recherche d'éléments d'orientation et de complications
- Hypoglycémie : insuline, ADO, alcool
- Hypokaliémie : chloroquine, théophylline
- Hyperkaliémie : digitaliques
- Calcul du trou osmolaire : si > 10 mOsm/L, suspicion d'intoxication par alcool éthylique, éthylène glycol ou méthanol
- CPK
- Fonction rénale, ionogramme
- Hépatite cytolytique : paracétamol +++
- ECG systématique
- Radiographie de thorax systématique : recherche de pneumopathie d'inhalation, d'atélectasie
- TDM cérébrale au moindre doute sur un traumatisme crânien associé ou en cas de retard d'éveil
- EEG : en cas de prise de médicaments abaissant le seuil épileptogène (ATD tricycliques, NLP) à la recherche d'une crise infraclinique
- Analyse toxicologique :
- Intérêt limité si intoxication évidente car : qualitative, performances diagnostiques imparfaites, risque de dosage des produits de sédation
- Parfois intérêt médico-légal ou thérapeutique si la concentration change la conduite à tenir
- Doit être ciblée, éviter les batteries systématiques
- Constituer une plasmathèque et une urothèque à l'arrivée, utiles en cas d'interrogations diagnostiques ou thérapeutiques ultérieures
Toxidromes
- Ensemble de symptôme cliniques, biologiques et ECG évoquant une pathologie toxique
- Syndrome de myorelaxation :
- Coma calme hypotonique et aréflexique, sans signes de focalisation, ± dépression respiratoire
- Principaux toxiques : BZD et apparentés, barbituriques, carbamates, phénothiazines, alcool
- Syndrome atropinique :
- Syndrome confusionnel, hallucinations, dysarthrie, tremblements, agitation, mydriase aréactive
- Tachycardie sinusale, RAU, douleurs abdominales, constipation, soif
- Principaux toxiques : ATD tricycliques, phénothiazines, butyrophénones, quinidine, atropine, antihistaminiques, antiparkinsoniens
- Effet stabilisant de membrane :
- Troubles de la conduction intraventriculaire et troubles hémodynamiques par blocage du flux sodique entrant
- Principaux toxiques : antiarythmiques de classe I, certains β-bloquants, ATD tricycliques, quinidiniques, phénothiazines, carbamazépine, cocaïne
- Syndrome adrénergique :
- Hyperthermie, agitation, convulsions, HTA, ischémie myocardique, tachycardie, hyperglycémie, hypokaliémie
- Principaux toxiques : théophylline, amphétamines, cocaïne, LSD, éphédrine
- Syndrome sérotoninergique :
- Hyperthermie, agitation ou coma, hallucinations, myoclonies, hyperréflexie, mydriase, sueurs, tremblements, diarrhée
- Principaux toxiques : IMAO, ISRS, lithium, tricycliques, ecstasy
- Hyperthermie maligne :
- Hyperthermie > 40 °C, hypertonie, rhabdomyolyse
- Principaux toxiques : NLP, anesthésiques halogénés, ecstasy
- Intoxication aux opioïdes : troubles de la vigilance, apnées, myosis serré bilatéral, nausées, vomissements, iléus, prurit, bradycardie, hypotension
Tests diagnostiques
- Naloxone :
- 0,1 mg IV toutes les 3 minutes jusqu'à ventilation spontanée efficace
- Antidote en cas d'intoxication aux morphiniques
- Attention en cas de prise chronique de morphiniques (toxicomanie, antalgie) : risque de rebond algique, d'agitation et de syndrome de sevrage
- Flumazénil :
- 0,3 mg IV en 1 minute puis augmentation par 0,1 mg jusqu'à 2 mg
- Antidote d'une intoxication aux benzodiazépine
- Contre-indiqué en cas d'intoxication polymédicamenteuse ou d'épilepsie : risque de crises convulsives
Psychotropes
Benzodiazépines
- Intoxication la plus fréquente, souvent bénigne
- Effet synergique d'une prise concomitante d'alcool
- Coma calme hypotonique, dépression respiratoire rare sauf sujets fragiles (âgés, insuffisants respiratoires chroniques)
- Durée du tableau fonction de la demi-vie de la (des) molécule(s)
- Antidote = flumazénil, sauf intoxication polymédicamenteuse ou épilepsie connue
- Utilisation prolongée du flumazénil est discutable
Antidépresseurs tricycliques
- Clinique : coma agité, signes d'irritation pyramidale, crises d'épilepsie, syndrome atropinique
- Gravité liée à l'effet stabilisateur de membrane → surveillance scope et ECG
- Traitement symptomatique :
- Hospitalisation en réanimation
- Décontamination digestive < 3 h (lavage gastrique, charbon activé)
- Si troubles de la conduction : lactate ou bicarbonate de sodium molaire
Barbituriques
- Coma calme, hypotonique, profond, dépression respiratoire, hypothermie
- Risque de rhabdomyolyse
- Risque de coma ou d'arrêt respiratoire brutal retardé → surveillance en réanimation
Carbamate
- Coma calme hypotonique
- Risque de vasoplégie et effet inotrope négatif
Lithium
- Agitation ou coma, tremblement et myoclonies, convulsions
- En cas de prise chronique : risque d'insuffisance rénale aiguë fonctionnelle, de diabète insipide néphrogénique et de tubulopathie distale
- Dosage lithémie et, chez les sujets traités au long cours, du lithium érythrocytaire
- Traitement : hydratation abondante par SSI, EER en cas de signes neurologiques graves (surtout si patient imprégné au long cours)
Neuroleptiques
- Selon les classes, coma calme hypotonique (NLP sédatifs) ou coma agité avec hypertonie extrapyramidale
- Risque de troubles de la conduction
- Risque de syndrome malin des NLP : hyperthermie, hypertonie extrapyramidale, rhabdomyolyse
Cardiotropes
Digitaliques
- Clinique :
- Troubles digestifs : nausées, vomissements, douleurs abdominales
- Signes neurosensoriels : troubles de la vigilance, dyschromatopsie, vision floue, scotomes
- Signes cardiovasculaires : troubles de la conduction, troubles du rythme ventriculaire
- Complications : insuffisance rénale, hyperkaliémie
- Traitement :
- Décontamination digestive si précoce
- Mesures de réanimation
- Antidote : fragment Fab d'anticorps antidigitaliques, indiqué en cas de troubles du rythme ou de la conduction graves/menaçants, d'hyperkaliémie sévère ou de choc cardiogénique
- Si bradycardie : atropine, sonde d'entrainement électrosystolique, fragment Fab
Chloroquine
- Clinique : troubles de la conscience, signes neurosensoriels (flou visuel, acouphènes, vertiges), convulsions, troubles digestifs
- Gravité = effet stabilisateur de membrane
- Traitement :
- Fonction de la dose supposée ingérée, de la PAs et de la durée des QRS
- Selon gravité : surveillance, diazépam seul ou diazépam + remplissage et adrénaline
Bêtabloquants
- Actions chronotrope, inotrope, dromotrope et bathmotrope négatives
- Effet stabilisateur de membrane pour le sotalol
- Troubles digestifs, respiratoires (bronchospasme), neurologiques (confusion, hallucinations)
- Traitement :
- Mesures de réanimation (hémodynamique +++)
- Glucagon IVSE
- Isoprénaline
Inhibiteurs calciques
- Inotropes négatifs, vasoplégiants
- Antidote : insuline IVSE (+ DDC) + glucose avec surveillance kaliémie et glycémie
Monoxyde de carbone
- Première cause de mortalité par intoxication dans le monde
Physiopathologie
- Gaz inodore, incolore, insipide, non irritant, non suffocant → intoxication insidieuse
- Produit par combustion incomplète des hydrocarbures
- Forte affinité de fixation du CO pour l'Hb (>> O2), la myoglobine, le cytochrome P450
- → Hypoxie +++
- Circonstances :
- Intoxication accidentelle : domestique, collective, hivernale ; ou fumées d'incendie (co-intoxication aux cyanhydriques +++)
- Intoxication volontaire : rare, gaz d'échappement de véhicule automobile
Diagnostic
Clinique
- Signes neurologiques :
- Céphalées, vertiges, perte de connaissance
- Altération des fonctions cognitives
- Coma
- Syndrome pyramidal
- Crises convulsives
- Signes digestifs : nausées, vomissements, diarrhée
- Signes cardiovasculaires : SCA, hypotension artérielle
- En cas de choc : évoquer une intoxication cyanhydrique associée
- Signes respiratoires : OAP cardiogénique ou lésionnel, pneumopathie d'inhalation
- Signes cutanéomuqueux : coloration cochenille des téguments
- Mesure du CO expiré
Biologie
- Carboxyhémoglobine (HbCO) :
- Normale : < 3% chez le non fumeur, < 15% chez le fumeur
- Mauvaise corrélation entre symptomatologie et HbCO
- Intoxication potentiellement mortelle si > 60%
- Oxygénothérapie préhospitalière peut artificiellement baisser l'HbCO et la rendre ininterprétable
- PaO2 initialement normale
- SaO2 : diminuée si mesurée avec un appareil pourvu d'un CO-oxymètre, sinon faussement normale
- SpO2 faussement normale car oxymète ne distingue pas HbCO et HbO2
- Hyperlactatémie par hypoxie tissulaire (évoquer une cointoxication cyanhydrique si > 10 mmol/L)
Traitement
- Urgence médicale
- Soustraire la victime de l'ambiance toxique
- Traitement symptomatique des défaillances
- Oxygénothérapie à haut débit normobare la plus précoce possible
- ± Oxygénothérapie hyperbare :
- Systématique chez la femme enceinte
- Perte connaissance initiale
- Troubles neurologiques persistants
- Complications cardiaques
- Si co-intoxication cyanhidrique : hydroxocobalamine (vitamine B12)
- Suivi prolongé car risque de complications retardées
- Prévention des récidives :
- Education des populations
- Identification et remplacement de la source
- Si tentative de suicide : évaluation du risque suicidaire
- Alerte des services de santé et d'environnement
Pronostic
- Risque de troubles secondaires à distance
- → En informer le patient et le médecin traitant
- Syndrome post-intervallaire :
- Signes neuropsychiatriques 1 à 3 semaines après l'intoxication
- Réversibles dans 50% des cas
- Syndrome séquellaire :
- Réapparition de signes neuropsychiatriques
- Syndrome extrapyramidal +++
Intoxication alcoolique aiguë
Physiopathologie
- Absorption gastrique (30%) et duodénojéjunal (70%), concentration maximale atteinte en 30 à 60 min
- Elimination : 0,15 g/L/h, la majorité par catabolisme (5% dans l'air expiré, l'urine, la sueur, le lait maternel)
- Métabolisme essentiellement hépatique : oxydation en acétaldéhyde puis en acétate
Diagnostic
- Ivresse simple :
- Phase d'excitation psychomotrice : désinhibition, euphorie, atteintes cognitives
- Phase d'incoordination : troubles de la vigilance, syndrome cérébelleux, troubles de la vision, troubles vasomoteurs
- Coma profond sans signes de focalisation
- Ivresse pathologique :
- Ivresse excitomotrice, hallucinatoire, délirante, avec troubles de l'humeur
- Dangerosité majeure survenant à la prise d'alcool
- Alcoolémie systématique :
- Pas de parallélisme présentation clinique - alcoolémie
- Pronostic vital engagé si > 3 g/L
- Signes de gravité :
- Intoxication avec manifestations psychiatriques : ivresse excitomotrice, troubles psychosensoriels, hallucinations...
- Intoxication avec complications :
- Neurologiques : coma, crise convulsive
- Respiratoires : pneumopathie d'inhalation, arrêt respiratoire
- Circulatoires : vasoplégie, arythmie, SCA
- Métaboliques : hypoglycémie, acidocétose, hyponatrémie
- Digestives : Mallory-Weiss, hépatite aiguë
- Musculaires : rhabdomyolyse, IRA, hyperkaliémie
- Intoxication avec pathologie associée : traumatisme +++, autres psychotropes
- Intoxication chez l'enfant
Traitement
- Ivresse simple :
- Surveillance simple
- Hydratation et thiamine par voie orale
- IAA avec agitation psychomotrice :
- Sédation par benzodiazépines IV
- Neuroleptiques en dernier recours
- Contention physique à éviter, sinon sur prescription et réévaluée régulièrement
- Mesures associées :
- Sortie contre avis médical impossible
- Sortie uniquement après rétablissement des fonctions relationnelles et disparition des signes d'alcoolisation aiguë
- Si forces de l'ordre : certificat de non-admission uniquement après avoir vérifié la permanence des fonctions relationnelles et en l'absence d'administration de thérapeutique sédative
- Au décours :
- Evaluation de la consommation d'alcool, recherche d'un mésusage ou d'une dépendance
- Recherche de complications de l'alcoolisme
- Intervention brève concernant la consommation
- Avis psychiatrique en cas de comorbidité psychiatrique aiguë ou de nécessité de suivi addictologique
Antalgiques
Paracétamol
- Dose toxique : > 125 mg/kg
- Métabolisme par le cytochrome P450 qui produit de la N-acétyl-p-benzoquinoneimine, toxique, réduite par le glutathion
- Si surdosage → épuisement des réserves de glutathion → lyse hépatocellulaire et risque d'hépatite fulminante
- Meilleur indicateur : paracétamolémie à 4h (normogramme de Matthew)
- Traitement :
- Lavage gastrique, charbon activé
- N-acétyl-cystéine pendant 24h et jusqu'à normalisation du bilan hépatique
- Si encéphalopathie ou TP < 40%, discuter transplantation hépatique
Morphiniques
- Cliniquement : syndrome opioïde (vide supra)
- Antidote = naloxone, IVL jusqu'à normalisation de la FR
- Surveillance continue, éviter un syndrome de sevrage
Principes généraux de prise en charge
Mesures générales
- Rechercher des signes de gravité : terrain, toxique, quantité, pharmacocinétique, polyintoxication, tableau symptomatique
- Hospitalisation systématique
- Abord veineux périphérique
- Bilan biologique complet, plasmathèque, urothèque, RXT, ECG
- Scope
- En cas de troubles de la conscience : libération VAS, oxygénothérapie, recherche et traitement d'une hypoglycémie
Recherche et prise en charge des complications viscérales
- Neurologiques :
- Ne jamais exclure un coma d'origine traumatique
- GCS
- Traitement étiologique rapide : glucosé si hypoglycémie, flumazénil/naloxone
- Protection des VAS par IOT si coma profond
- Traitement d'une crise d'épilepsie
- Respiratoires :
- Pneumopathie d'inhalation, OAP lésionnel, hypoventilation alvéolaire
- Si intoxication aux morphiniques et bradypnée → naloxone
- Si doute sur pneumopathie d'inhalation → antibiothérapie (amoxiclav)
- Cardiocirculatoires :
- Mécanismes : hypovolémie par défaut d'accès à l'eau, vasoplégie par toxicité ou sepsis associé, altération de la fonction myocardique
- Remplissage vasculaire et/ou amines vasopressives
- En cas de bradycardie sinusale : atropine IV 1 mg
- Si torsade de pointe : sulfate de Mg IVL, isoprénaline, SEES
- Digitaliques : Fab
- Si ACR : réanimation prolongée
- Hépatiques : discuter transplantation en cas d'hépatite fulminante (encéphalopathie, chute TP)
Décontamination digestive
- Jamais de vomissements : risque d'inhalation
- Lavage gastrique :
- Doit être précoce
- Risque d'inhalation
- Contre-indiqué si : caustiques, hydrocarbures, produits moussants
- Charbon activé : si intoxication précoce ou toxiques à demi-vie longue (carbamates ++, barbituriques, digitoxine)
Epuration
- Jamais de diurèse forcée
- Alcalinisation des urines : intoxication à l'aspirine
- EER : lithium, salicylés, méthanol, éthylène glycol
Prévention
- Evaluation du risque suicidaire
- Déclaration d'accident de travail si contexte professionnel