328 : Protéinurie et syndrome néphrotique chez l’enfant et chez l’adulte
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Sommaire
Objectifs
- Devant la découverte d’une protéinurie, argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents
- Devant un syndrome néphrotique chez l’enfant ou chez l’adulte, argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents
Protéinurie
Diagnostic positif
- Physiologique ≈ 150 mg/j
- Quantification :
- Semi-quantitative = bandelette urinaire : dépistage +++, détecte l'albumine > 50 mg/L, ne détecte pas les protéines de bas poids moléculaire (chaînes légères d'Ig +++). ++ ≈ 1g/L, +++ ≈ 3 g/L
- Dosage pondéral :
- En g/24h (N < 0,15 g/j) → totalité des protéines
- Rapport protéinurie/créatininurie pour éviter un recueil de 24h → résultat en g/g de créatinine (N < 0,15 g/g)
- Interprétation gênée par une hématurie ou une pyurie
- Analyse qualitative :
- Electrophorèse des protéines urinaires :
- Protéinurie glomérulaire sélective : > 80% d'albumine, suggère une néphropathie glomérulaire sans lésion en microscopie optique (SN à LGM, néphrose idiopathique)
- Protéinurie glomérulaire non-sélective : albumine < 80%, toutes les néphropathies peuvent en donner
- Protéinurie tubaire : trouble de réabsorption tubulaire proximale de protéines de bas poids moléculaire → lysozymurie et β2-microglobulinurie. Rares +++, syndrome de Fanconi, tubulopathies génétiques ou toxiques
- Protéinuries « de surcharge » : résultent de la présence d'une protéine dans le sérum → protéine anormale (ex : chaîne légère Kappa et MGUS) ou normalement absente du sérum (Hb et hémolyse, myoglobine et rhabdomyolyse)
- Microalbuminurie :
- Pathologique si > 300 mg/j (300 mg/g de créatinine)
- Spécifique d'une atteinte glomérulaire
- Glomérulopathie diabétique débutante +++
- Electrophorèse des protéines urinaires :
Situations cliniques
Protéinuries intermittentes
- Protéinuries associées à certaines circonstances ± pathologiques :
- Protéinurie d'effort (après exercice physique intense)
- Fièvre élevée
- Infections urinaires
- Insuffisance ventriculaire droite
- Polyglobulie
- Protéinurie orthostatique :
- Protéinurie disparaissant en clinostatisme
- Physiologique
- Observée en période pubertaire, spontanément résolutive avant 20 ans
Protéinuries permamentes
- Orientation diagnostique selon :
- Débit de la protéinurie
- Composition de la protéinurie
- Anomalies associées : HTA, hématurie, insuffisance rénale, anomalies échographiques
- Immuno-électrophorèse sérique et urinaire systématique après 45 ans
- La plupart des néphropathies peuvent s'accompagner de protéinurie (sauf néphropathies tubulaires, interstitielles et vasculaires)
Syndrome néphrotique
- Trouble de la perméabilité capillaire glomérulaire due à : une anomalie de structure de la MBG, une perte des charges négatives de la MBG (néphrose idiopathique), ou des anomalies des cellules glomérulaires ou dépôts de protéines
Diagnostic
- Définition biologique
- Protéinurie > 3 g/24h (> 50 mg/kg/j chez l'enfant)
- Hypoalbuminémie < 30 g/L
- Pur en l'absence :
- D'hématurie macroscopique
- D'HTA
- D'insuffisance rénale organique
- Circonstances de découverte :
- Syndrome œdémateux :
- Mode d'installation variable
- Mous, blancs, prenant le godet
- Parfois associé à des épanchements séreux exsudatifs
- Prise de poids à chiffrer et à surveiller
- Oligurie si installation aiguë
- N'est pas nécessaire à définir un syndrome néphrotique !
- Protéinurie isolée découverte à l'occasion d'un examen systématique
- Syndrome œdémateux :
- Biologie :
- Urines :
- Protéinurie sur BU → confirmer par dosage
- Electrophorèse des protéines urinaires (sélectivité)
- Analyse du sédiment urinaire → recherche d'hématurie microscopique (avec examen du culot à la recherche de cylindres hématiques pour l'origine glomérulaire)
- Ionogramme urinaire → ↓ natriurèse, kaliurèse adaptée aux apports
- Sang :
- Hypoprotidémie et hypoalbuminémie
- EPPS → ↑ α2-globulines, β-globulines et fibrinogène ; ↓ γ-globulines
- Hyperlipidémie fréquemment associée (Cholestérol, TG)
- VS augmentée et hypocalcémie secondaires à l'hypoprotidémie
- Créatinine selon la cause et l'association d'une insuffisance rénale (organique ou fonctionnelle)
- Urines :
- Diagnostics différentiels :
- Autres causes d’œdèmes généralisés : cirrhose, insuffisance cardiaque, tamponnade (peuvent s'accompagner d'une protéinurie)
- Autres causes d'hypoprotidémie : malabsorption, dénutrition
Complications
Œdèmes
- Chiffrer la prise de poids
- Risque d'épanchement des séreuses
- Dans les territoires déclives mais aussi où la pression extravasculaire est basse → orbite de l’œil
- Mécanismes :
- Initialement, hypoprotidémie → ↓ pression oncotique → fuite interstitielle de sodium et d'eau
- Entretenue par la stimulation du SRAA et du système sympathique par l'hypovolémie efficace
- Traitement :
- Restriction sodée (< 2 g/j)
- Repos transitoire au lit
- Diurétiques de l'anse (furosémide) → posologie croissante fonction de la réponse, du poids, de la diurèse et de la natriurèse
- Si résistance, association à d'autres diurétiques : thiazidiques, amiloride
- Réponse natriurétique doit être progressive pour éviter l'hypovolémie et le risque de thrombose veineuse par hémoconcentration
- Perfusion d'albumine si hypotension symptomatique (rare)
Complications aiguës
Insuffisance rénale aiguë
- 3 mécanismes :
- Insuffisance rénale fonctionnelle, souvent discrète. Natriurèse basse
- Nécrose tubulaire aiguë, avec oligo-anurie, parfois chez l'enfant ou le sujet âgé en cas d'hypovolémie sévère → retarde la récupération de 3 mois environ
- Thrombose uni- ou bilatérale des veines rénales : GEM +++ ou amylose, à évoquer si douleur lombaire et/ou hématurie macroscopique, diagnostic par imagerie (Doppler ou angio-IRM/TDM)
Anomalies de la coagulation
- Thromboses +++
- Mécanisme : perte urinaire de facteurs de la coagulation → augmentation de la synthèse hépatique mais fuite importante d'antithrombine III → défaut d'anticoagulant → hypercoagulabilité
- Thromboses possibles dans tous les territoires artériels et veineux, plus fréquentes chez l'adulte
- Parfois révélatrices, pouvant se compliquer d'EP
- Formes particulières : thrombose d'un sinus cérébral, thrombose d'une ou des deux veines rénales
- Traitement :
- Préventif : éviter l'immobilisation prolongée, éviter la déplétion hydrosodée brutale, discuter les AVK si hypoalbuminémie profonde et durable
- Curatif :
- D'une TVP ou d'une EP : HBPM en l'absence d'insuffisance rénale, sinon HNF, puis AVK ; attention au risque de déséquilibre des AVK (hypoprotidémie)
- Pour les thromboses artérielles : embolectomie ou héparine + aspirine
Infections
- Réponse immunitaire diminuée par perte urinaire d'Ig
- Bactéries encapsulées : Pneumocoque, H. influenzae, Klebsielle
- Tableaux cliniques :
- Infection cutanée, risque de cellulite avec sepsis grave surtout si syndrome œdémateux majeur → attention aux portes d'entrée
- Péritonite primitive chez l'enfant néphrotique : douleur abdominale aiguë fébrile → ponction d'ascite
- Pas d'indication à une vaccination ou à une antibioprophylaxie en aigu
- Contre-indication aux vaccins vivants si corticothérapie/immunosuppresseurs
Complications chroniques
Hyperlipidémie
- Mixte, athérogène
- Hypercholestérolémie avec élévation du LDL-C
- Corrélée à l'importance de la protéinurie
- Traitement indiqué qu'en cas de SN > 6 mois résistant au traitement spécifique (HSF, GEM) : statines avec surveillance des CPK
Hypertension artérielle
- Fréquente +++ dans les glomérulonéphrites chroniques
- Objectif : PA < 130/80 mmHg
- Traitement : IEC et ARAII en première intention, puis diurétiques
Insuffisance rénale chronique
- Grave +++
- Facteurs de risque : type de glomérulopathie, néphrotoxicité directe d'une protéinurie prolongée, HTA non-contrôlée
- Traitement = mesures de néphroprotection :
- Objectifs : PA < 130/80 mmHg, protéinurie < 0,5 g/j
- Moyens : régime limité en sel (6 g/j) + IEC/ARAII
Dénutrition et troubles de croissance
- Fréquence de la malnutrition protidique
- Atrophie musculaire
- Régime normal en protéines (1 à 1,5 g/kg/j) suffisant
- Chez l'enfant, retard de croissance dû à la corticothérapie
Autres anomalies métaboliques
- Augmentation de la fraction libre plasmatique des médicaments liés à l'albumine → risque de surdosage (AVK +++)
- Baisse des métaux éléments (Fe, Cu, Zn) et des protéines porteuses (céruléoplasmine, transferrine)
Etiologie
Indication d'une biopsie
- Première question = indication d'une PBR ?
- Informations utiles :
- Age
- Mode d'installation : brutal (quelques heures, en faveur d'une néphrose idiopathique ou d'une prolifération glomérulaire) ou progressif (quelques semaines, en faveur de dépôts sans prolifération) du syndrome œdémateux
- Contexte : précédé d'un épisode viral, de manifestations allergiques, d'une vaccination
- Recherche d'une maladie de système : ATCD anciens (diabète, drépanocytose, hépatite virale, HIV...) ou récents (éruption du visage, purpura, arthralgies, fièvre, aphtes, Raynaud...)
- Médicaments (AINS, sels d'or, D-pénicillamine, lithium)
- Caractère pur ou impur
- ATCD familiaux de néphropathie glomérulaire
- Echographie rénale (malformation urinaire...)
- Bilan biologique systématique : glycémie, fractions C3 et C4 du complément, AAN, sérologies HBV, HCV, HIV, électrophorèse des protéines sériques
- Biopsie rénale indispensable sauf si :
- Enfant entre 1 et 10 ans, SN pur, pas de signes extra-rénaux
- Diabétique avec rétinopathie diabétique + SN sans hématurie
- Adulte suspect d'amylose avec confirmation par BGSA ou biopsie de graisse péri-ombilicale
- Glomérulopathie héréditaire identifiée sans traitement spécifique
Syndrome néphrotique primaire
- = SN idiopathique
- SN sans signes extra-rénaux à bilan étiologique négatif
- Peut donner tous les types de lésions histologiques
Syndrome néphrotique secondaire
- Démarche étiologique selon les lésions histologiques observées en microscopie optique à la PBR :
LGM
- Lésions Glomérulaires Minimes : aucun dépôt et aucune prolifération optiquement visible
- Causes :
- Hémopathies malignes +++
- Maladies auto-immunes
- Infections
- Cancers
- Iatrogénie
HSF
- Hyalinose Segmentaire et Focale : dépôts hyalins segmentaires et focaux, pas de prolifération
- Les formes idiopathiques sont les plus fréquentes
- Causes de formes secondaires :
- Néphropathies congénitales et formes héréditaires
- Reflux vésico-urétéral
- HIV
- Toute cause de réduction néphronique (néphropathies vasculaires +++)
- Obésité
GEM
- Glomérulonéphrite Extra-Membraneuse : dépôts extra-membraneux sans prolifération
- Causes :
Moyen mnémotechnique : Causes de GEM secondaire
CLITOS : Cancer, LED, Infection, Toxiques, Sarcoïdose et Syndrome de Gougerot-Sjögren
- Infections : classiques mais rares → syphilis, lèpre, filariose, HBV
- Médicaments : sels d'or, D-pénicillamine
- 3 types de patients :
- Homme < 50 ans → GEM idiopathique
- Femme < 50 ans → rechercher un lupus +++
- Patient > 50 ans → RXT, examen ORL, fibroscopie bronchique (si patient fumeur), coloscopie
Cas particuliers
- A part : causes connues = diabète et amylose
- GloméruloNéphrite Membrano-Proliférative :
- Forme frontière avec un syndrome néphritique
- Dépôts endo-membraneux + prolifération endo-capillaire
- Formes secondaires +++ : MAI, infections (HBV +++), iatrogénie, cancer, hémopathies
Syndrome néphrotique chez l'enfant
- SN idiopathique = néphrose idiopathique = néphropathie glomérulaire la plus fréquente de l'enfant
- Maladie systémique dont le rein est la cible : dysfonctionnement lymphocytaire → production d'un facteur plasmatique altérant le complexe podocytes-MBG
- En général brutal, suit fréquemment un épisode infectieux ou une vaccination
- Œdèmes prédominent au visage au réveil (paupières +++), risque d'anasarque
Démarche diagnostique
- Bilan initial :
- Fonction rénale, ionogramme sanguin, albuminémie
- Protéinurie des 24h
- Hémogramme, CRP
- Indications de la PBR :
- Age : début avant 1 an ou après 10 ans
- SN impur persistant (hématurie, insuffisance rénale, HTA)
- Corticorésistance (pas de rémission de la protéinurie après 1 mois de corticothérapie)
- PBR montre en général un aspect de LGM (fusion des pieds des podocytes en microscopie électronique), parfois de HSF (SN impur ou corticorésistance +++)
Traitement
De la première poussée
- Hospitalisation initiale : débuter le traitement et prendre en charge les complications
- Corticothérapie :
- Prednisone 60 mg/m2 en 2 prises/j per os pendant 4 semaines
- ± 3 bolus de Solumédrol (1g) à 48h d'intervalle en cas de persistance au-delà de 4 semaines
- Corticorésistance = absence de rémission complète (BU -) 8 jours après les bolus de SMD
- Corticosensibilité → poursuite de la corticothérapie en discontinu (1 jour/2) avec diminution progressive par paliers pour durée totale de 4,5 mois
- Corticorésistance → PBR + changement de thérapeutique (spécialisé)
- Mesures hygiéno-diététiques :
- Pour la corticothérapie : supplémentation vitamine D et calcium (pas de potassium en systématique)
- Pour le SN : apports pauvres en sels et sucres rapides, restriction des apports hydriques
- Diurétiques rarement utilisés, avec prudence si œdèmes importants
- Prévention des thromboses :
- Mobilisation des enfants, correction de l'hypovolémie, contre-indication aux ponctions veineuses profondes, éventuellement traitement médicamenteux si situations à risque
- Traitement curatif : héparinothérapie, éventuellement antithrombine III
- Prévention des infections :
- Pas d'antibioprophylaxie systématique
- Si fièvre → examen rigoureux à la recherche d'une infection bactérienne
- Si tableau infectieux → prélèvements puis C3G probabilistes ± aminosides
- Vaccins tués recommandés, surtout anti-pneumococcique
- Vaccins vivants contre-indiqués
Suivi
- BU quotidienne lors des poussées de SN
- Protéinurie disparaît normalement entre 8 et 15 j de corticothérapie
- Retour à domicile → tenue d'un carnet avec poids, croix de protéinurie à la BU (2 ×/sem), événements cliniques et doses de corticoïdes
- Surveillance en cas de corticothérapie prolongée : croissance staturale, vergetures, IMC, densité osseuse, examen ophtalmologique annuel
- Mesures associées :
- Education de l'enfant et des parents sur la maladie, les complications...
- ALD 19, PAI
Pronostic
- Fonction de la corticosensibilité +++
- Corticosensible (85%) : 20% de poussées uniques, 80% de rechutes multiples ou de corticodépendance
- 15% de corticorésistance
- Rechute = SN ou protéinurie isolée > 3 semaines
- Corticodépendance = récidive de rechutes dans les 3 mois après l'arrêt du traitement ou en cas de décroissance sous un certain seuil
- Avant tout, évaluer l'observance et rechercher une pathologie iatrogène
- Protéinurie massive et prolongée → risque de dénutrition, ralentissement de la croissance, ostéoporose, anémie hypochrome, anomalies pharmacocinétiques secondaire à l'hypoalbuminémie
Alternatives thérapeutiques
- Formes multirécidivantes et corticodépendantes, ou intoxication stéroïdienne trop invalidante
- Molécules : mycophénolate mofétil, cyclophosphamide, ciclosporine, rituximab