252 : Insuffisance rénale aiguë, anurie

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Objectifs

  • Diagnostiquer une insuffisance rénale aiguë et une anurie
  • Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge

Physiopathologie

  • Baisse brutale et importante de la filtration glomérulaire
  • Oligo-anurie : diurèse < 500 mL/j (ou 20 mL/h)
  • Mécanismes aboutissant à une baisse du DFG :
    • Diminution du débit sanguin rénal (hypovolémie, choc)
    • Diminution des résistances efférentes glomérulaires
    • Augmentation des résistances afférentes glomérulaires
    • Augmentation de la pression hydrostatique dans les voies urinaires (obstacle post-glomérulaire)

Diagnostic

  • Augmentation rapide de l'urée et de la créatinine plasmatiques en quelques jours ou semaines
  • Aiguë si :
    • Fonction rénale préalablement normale
    • Reins de taille normale (ou augmentée)
    • Absence d'anémie et d'hypocalcémie
  • Exceptions :
    • Aggravation aiguë d'une IRC
    • Hémolyse aiguë ou choc hémorragique → IRA + anémie
    • Rhabdomyolyse → IRA + hypocalcémie
    • IRC à reins de taille normale (diabète, amylose, myélome, PKRD)
  • Diagnostic différentiel anurie/rétention aiguë d'urine : recherche de globe vésical systématique

Types d'insuffisances rénales aiguës

IRA obstructives

  • Ou IRA post-rénale
  • Obstacle sur les voies excrétrices → ↑ pression dans la chambre glomérulaire urinaire → annule la pression de filtration quand égale à la pression hydrostatique du capillaire glomérulaire
  • IRA n'apparaît qu'en cas d'obstacle bilatéral ou unilatéral sur rein unique
  • Obstacle pas toujours complet → anurie n'est pas systématique, peut exister une polyurie hypotonique par diabète insipide néphrogénique

Diagnostic

  • Evoquée devant : ATCD de lithiase urinaire, cancer digestif ou utérin, tumeur prostatique ou vésicale
  • Parfois hématurie macroscopique avec caillots et douleur lombaire (uni- ou bilatérale) initialement
  • Rechercher : globe vésical, blindage pelvien aux touchers pelviens
  • Diagnostic échographique : dilatation des cavités pyélo-calicielles à l'échographie rénale, bilatérale ou unilatérale sur rein unique
  • ASP : recherche de calculs radio-opaques, mesure de la taille des reins (N > 10 cm/3,5 vertèbres)
  • TDM rénale :
    • Permet le diagnostic de lithiase ou d'infiltration rétro-péritonéale
    • Mais expose au risque d'IRA organique par NTA sur produits de contraste iodé → indications limitées

Causes

  • Lithiase urinaire : en général sur rein unique, chez le sujet jeune +++, souvent oxalo-calcique (radio-opaque)
  • Pathologie tumorale, à évoquer chez le sujet âgé :
    • Adénome ou adénocarcinome de prostate
    • Cancer du col utérin
    • Tumeur vésicale
    • Cancer du rectum, de l'ovaire, de l'utérus
    • Métastases rétropéritonéales
  • Pathologie inflammatoire : fibrose ou sclérose rétropéritonéale

Traitement spécifique

  • Dérivation des urines en urgence :
    • Obstacle bas → sondage vésical ou cathéter sus-pubien
    • Obstacle haut → sonde urétérale (JJ) ou néphrostomie percutanée (sous AL et contrôle échographique)
  • Attention au risque de polyurie de levée d'obstacle : reprise abondante de la diurèse avec risque de déshydratation (et donc d'IRA fonctionnelle) → surveillance de l'état d'hydratation et hydratation abondante

IRA fonctionnelles

  • Ou pré-rénale
  • Diminution de la pression de perfusion rénale → stimulation du SRAA, du système sympathique et de la sécrétion d'ADH
    • Conséquences glomérulaires : vasoconstriction post-glomérulaire initiale pour compenser mais devient insuffisante → ↓ pression de filtration → IRA
    • Conséquences tubulaires : réabsorption accrue de sodium et d'eau → urine est peu abondante (oligurie), pauvre en sodium et riche en potassium (Na/K < 1), augmentation de l'urémie car réabsorption d'urée avec l'eau
  • Cas particulier d'IRA fonctionnelle : IEC/ARAII → pas de vasoconstriction de l'artériole efférente → chute rapide de la pression de filtration et donc du DFG (surtout si sténose de l'artère rénale ou néphroangiosclérose + déshydratation)
  • Si prolongée → risque de NTA

Diagnostic

  • Contexte de déshydratation extracellulaire importante
    • Signes d'hypoperfusion : hypotension artérielle, tachycardie, pli cutané, perte de poids, hémoconcentration
  • Ou d'hypovolémie efficace
  • Diagnostic différentiel avec une nécrose tubulaire aiguë :
Signes IRA fonctionnelle NTA
Urée plasmatique
Créatininémie N ou ↑ ↑↑
U/C plasmatique > 100 < 50
Natriurèse < 20 mmol/L* > 40 mmol/L
Na/K urinaire < 1 > 1
U/P créatinine > 30 < 30

* Sauf perte sodée d'origine rénale : diurétiques +++, hypoaldostéronisme, néphropathie interstitielle...

Causes

  • Déshydratation extracellulaire :
    • Pertes rénales : traitement diurétique excessif, polyurie osmotique (diabète, levée d'obstacle), néphrite interstitielle chronique, insuffisance surrénale
    • Pertes extra-rénales : cutanées (sudation, brûlures) ou digestives (vomissements, diarrhée, fistule)
  • Hypovolémie :
    • Efficace : SN sévère, DOA, insuffisance cardiaque congestive
    • Réelle : états de choc débutants
  • Point commun = réversible quand le flux sanguin est restauré
  • IRA fonctionnelle peut être favorisée par la prise de bloqueurs du SRAA (IEC, ARAII), notamment si associés à des diurétiques ou à des AINS et chez le sujet âgé
  • IRA du sujet âgé apparaissant à l'introduction d'un traitement par IEC → rechercher une sténose de l'artère rénale

Traitement spécifique

  • IRA fonctionnelles par déshydratation ou hypovolémie :
    • But = restaurer une volémie efficace
    • Estimer le volume perdu : poids, pression veineuse centrale (voire cathéter artériel), échographie cardiaque (veine cave)
    • Sérum salé isotonique (ou hypotonique à 0,45%) IV ; éventuellement réhydratation per os si déshydratation peu importante
    • Surveillance : courbe de poids, FC, PA, diurèse, ionogramme urinaire
  • IRA fonctionnelles avec œdèmes :
    • Syndrome hépato-rénal : IRA rarement réversible, décès à cause de la cirrhose +++. Eventuellement expansion volémique + albumine + diurétiques de l'anse
    • SN sévères : perfusion d'albumine + diurétiques
    • Insuffisance cardiaque : traitement de l'insuffisance cardiaque
  • Cas particulier des bloqueurs du SRAA (IEC ou ARAII) et AINS :
    • IRA s'améliore à l'arrêt du traitement
    • Corriger la déshydratation associée

IRA organiques

  • Ou IRA parenchymateuses
  • Lésions anatomiques des structures du rein (tubule, interstitium, glomérule, vaisseaux)
  • Les plus fréquentes = nécroses tubulaires aiguës (45%) :
    • Ischémiques
    • Ou toxiques
  • NTA ischémiques :
    • ↓ flux sanguin rénal (états de choc +++) → ischémie rénale → modifications du métabolisme intracellulaire : activation des phospholipases et protéases, production de radicaux libres, activation des gènes pro-apoptotiques
    • Effondrement de la filtration glomérulaire
    • Vasoconstriction intrarénale pré- et post-glomérulaire médiée par l'angiotensine II, des catécholamines, du thromboxane A2
    • Nécrose des cellules tubulaires → accumulation intra-tubulaire de débris cellulaires → ↑ de la pression intra-tubulaire → ↓ filtration glomérulaire
  • Anurie secondaire à la diminution du DFG, à la baisse de la pression dans les capillaires glomérulaires et à l'augmentation de la pression intra-tubulaire

Diagnostic

  • Diagnostic syndromique :
NTA NIA NGA NVA
HTA Non Non Oui Oui
Œdèmes Non Non Oui Non
Protéinurie (g/j) < 2 < 2 > 2-3 Variable
Hématurie microscopique Non Non Oui Non
Hématurie macroscopique Non Possible Possible Possible
Leucocyturie Non Oui Non Non
Infection urinaire Non Possible Non Non
  • Examens complémentaires :
    • Echographie rénale systématique
    • Indications de l'artériographie :
      • Suspicion de thrombose/embolie des artères rénales
      • Rechercher une nécrose corticale si microangiopathie thrombotique sévère ou après CIVD
    • PBR :
      • Systématiquement quand le tableau diffère d'une NTA
      • En cas de NTA :
        • Précocement si les circonstances d'apparition ne sont pas évidentes
        • Tardivement si pas d'amélioration de la fonction rénale après 4 semaines
  • Précautions PBR :
    • Contrôle d'une hypertension artérielle
    • Vérifier l'absence de trouble de l'hémostase
    • Corriger une anémie
    • Repérage échographique
    • Expérimentateur entraîné

Causes

  • Nécroses tubulaires aiguës :
    • NTA ischémiques : états de choc +++ (tous types) ; souvent oligurie initiale, urines peu concentrées, Na/K > 1
    • NTA toxiques : aminosides et produits de contraste iodés +++, AINS, cisplatine, amphotéricine B, C1G, ciclosporine, tacrolimus ; diurèse souvent conservée
    • NTA par précipitation intratubulaire :
      • Médicaments : aciclovir, inhibiteurs des protéases, méthotrexate, sulfamides
      • Protéines : chaînes légères d'Ig (myélome), myoglobine (rhabdomyolyse), hémoglobine (hémolyse)
  • Néphrites interstitielles aiguës :
    • Infectieuses :
      • Ascendantes (PNA) ou hématogènes (avec septicémie)
      • Si obstacle sur la voie excrétrice → dérivation des urines en urgence
      • Cas particuliers : leptospirose, fièvres hémorragiques
    • Immuno-allergiques : sulfamides, ampicilline et méthicilline, AINS, fluoroquinolones ; caractérisées par une éosinophilurie, hyperéosinophilie, fièvre, rash, cytolyse hépatique
  • Néphropathies glomérulaires :
    • Aiguës et rapidement progressives
    • Urgence thérapeutiques, bilan immunologique et PBR en urgence
    • Causes :
      • GNA post-infectieuse
      • GNRP endo et extracapillaire : LED, cryoglobulinémie, purpura rhumatoïde, syndrome de Goodpasture
      • Glomérulonéphrite nécrosante : Wegener, polyangéite microscopique
  • Néphropathies vasculaires aiguës :
    • Artères de petit calibre :
      • SHU : HTA, anémie hémolytique, schizocytes, thrombopénie, ↑ LDH, ↓ haptoglobine ; nourrisson et enfant +++ (infection par entérobactérie pathogène)
      • Emboles de cristaux de cholestérol : signes cutanés, sujet athéromateux, geste endovasculaire ou traitement anticoagulant
    • Artères de gros calibre :
      • Thrombose, embolie ou dissection des artères rénales
      • Douleur lombaire, hématurie macroscopique, fièvre ; diagnostic par artériographie avec angioplastie

Pronostic

  • 50% de mortalité en réanimation, liée :
    • A la maladie causale
    • Au terrain
    • Aux complications de la réanimation (infections +++)

Complications

  • Métaboliques :
    • Acidose métabolique
    • Hyperkaliémie
    • Hypervolémie, risque d'OAP, notamment si remplissage vasculaire
    • Risque de dénutrition
  • Infections nosocomiales fréquentes
  • Hémorragies digestives
  • Complications cardiovasculaires : phlébite, EP, infarctus du myocarde, AVC (favorisés par l'alitement, l'hypoxémie et les variations de PA)

Facteurs pronostiques

  • Pronostic rénal :
    • Fonction rénale antérieure
    • Type d'IRA (NTA de bon pronostic)
  • Pronostic vital :
    • Choc septique initial
    • Nombre de défaillances viscérales associées
    • Complications et terrain

Prévention

De la NTA

  • Chez les sujets à risque :
    • Infection grave
    • Etat de choc
    • Suites de chirurgie lourde (cardiaque, aortique)
    • Injection de produits de contraste iodés
    • Sujets âgés, diabétiques, athéromateux, fonction rénale précédemment altérée
  • Maintenir une volémie efficace
  • Apports hydrosodés adaptés à la courbe de poids, à l'apparition d’œdèmes et au bilan des entrées et sorties (± PVC, PAP, ETT)
  • Si volémie satisfaisante et anurie → diurétiques de l'anse pour relancer la diurèse

De la tubulopathie à l'iode

  • Sujets à risque : diabétiques, insuffisants rénaux, insuffisants cardiaques, myélome
  • Eviter l'injection inutile
  • Si injection indispensable, prévention :
    • Arrêt des AINS et des diurétiques
    • Hydratation correcte per os (eau de Vichy) voire SSI IV
    • Utiliser un PCI de faible osmolalité et limiter le volume injecté

De la néphrotoxicité médicamenteuse

  • Aminosides, cisplatine et amphotéricine B +++
  • Mesures de prévention :
    • Adapter les posologies à la fonction rénale
    • Dosages plasmatiques (taux résiduels d'aminosides +++)
    • Hydratation, surveillance de la fonction rénale

Des IRA fonctionnelles médicamenteuses

  • Contre-indication aux AINS en cas d'insuffisance rénale chronique
  • IEC et ARAII :
    • Prescription prudente chez le sujet âgé et le patient à haut risque vasculaire
    • Rechercher préalablement un souffle abdominal + écho-Doppler au moindre doute

Du syndrome de lyse

  • En cas de rhabdomyolyse ou lyse tumorale importante (leucémies et lymphones +++)
  • Prévention par hydratation massive avec diurèse forcée
  • Mesures spécifiques :
    • Rhabdomyolyses → alcalinisation des urines
    • Syndromes de lyse tumorale → injection précoce d'uricase IV (Fasturtec)

Traitement

  • Symptomatique, pour les IRA organiques

Prévention des complications

  • Adapter la posologie des médicaments à élimination rénale
  • Prévention des hémorragies digestives : anti-H2 ou IPP
  • Apports caloriques et azotés suffisants pour éviter la dénutrition

Traitement de l'hyperkaliémie

  • Grave, potentiellement mortelle
  • Dosage de la kaliémie et ECG systématiques
  • Arrêter les médicaments hyperkaliémiants et supprimer les apports potassiques
  • Prise en charge thérapeutique

Traitement de l'acidose métabolique

  • Fréquente, modérée en général
  • Accumulation d'acides faibles et défaut d'élimination des ions H+ → trou anionique augmenté
  • Rechercher une cause d'IRA avec acidose importante : intoxication à l'éthylène glycol, acidose lactique (choc), acido-cétose diabétique, pertes digestives de HCO3- (avec IRA f par déshydratation), IRA obstructive
  • En général pas de traitement en phase aiguë
  • Apport de bicarbonates si :
    • Acidose métabolique associée à une hyperkaliémie menaçante
    • Perte de bicarbonates (diarrhée)
    • Apparition d'une acidose mixte
  • Epuration extra-rénale : si injection de bicarbonates impossible ou états de choc avec acidose lactique/intoxication

Traitement de la surcharge hydro-sodée

  • HHEC :
    • HTA, œdèmes, voire épanchements séreux et OAP
    • En général sur néphropathie glomérulaire ou vasculaire aiguë, ou en cas d'apports excessifs par remplissage
    • Traitement = diurétiques de l'anse per os ou IV ; en l'absence de réponse → EER
  • HHIC : fréquente, en général modérée et sans conséquence (hyponatrémie de dilution)

Indications de dialyse

  • Situations d'urgence (vide supra)
  • Persistance de l'insuffisance rénale (pour prévenir les complications)
  • Objectif = urée plasmatique < 30 mmol/L